Prédication du culte œcuménique du dimanche des Rameaux

Prédication du culte œcuménique du dimanche des Rameaux

Dimanche 2 avril, lors du culte des Rameaux au temple de la rue Lanterne, nous sommes entrés dans la semaine sainte par la porte de l’œcuménisme. Grâce à la participation  de Christian Delorme prêtre et curé du diocèse, et grâce à la présence du club des amis de RCF-LYON. C’était une belle rencontre riche en fraternité et en prière. Vous retrouverez sur cette page la totalité de la prédication à deux voix (en version audio et écrite) et même une grande partie du culte que nous avons vécu.


Enregistrement du culte, sur RCF :


Prédication de Christian Delorme et Christian Bouzy, le dimanche des Rameaux, 2 avril 2023

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Christian BOUZY

Qui acclamons-nous le jour des Rameaux ? Un chef de guerre auréolé de gloire et dont la puissance écrase toute résistance sur son passage ? Certainement pas ! Jésus arrive comme un serviteur alors qu’on l’attend comme un roi. Il a choisi la monture d’une ânesse et son ânon, le moyen de locomotion habituellement utilisé par les petites gens, de condition modeste, ceux qui vivent dans l’ombre loin des projecteurs, ceux qu’on appellerait aujourd’hui les « invisibles ».

Un serviteur, désarmé, vulnérable, et qui n’attire pas les regards sur lui, c’est ainsi que Dieu se révèle aux humains, si l’on en croit le texte d’Ésaïe que nous avons lu. Ainsi, 600 ans avant J.C., Ésaïe prophétise déjà la venue d’un tel Dieu. Un dieu qui ne brille pas par sa puissance, parce qu’il choisit de s’abaisser, parce qu’il a décidé de venir nous rejoindre au plus bas de notre condition humaine, parmi les humbles, les méprisés, les rejetés dont la dignité est piétinée. Étonnant paradoxe qui ne cesse de nous surprendre et de nous heurter ! Ce Dieu que nos fantasmes dessinent comme un roi tout puissant et invincible, le prophète Ésaïe annonce qu’il sera une personne rejetée, et sans pouvoir. Quelqu’un qui ne compte pour rien aux yeux du monde. Et cependant, quitte à choquer ses contemporains, avec toute la force de sa conviction, Ésaïe a l’intuition que Dieu se révèlera ainsi ; faible, vulnérable et désarmé. Et à ce moment-là bien sûr, il ne sait pas que c’est Jésus qui donnera corps à ce qu’il annonce.

Christian DELORME

Alors qu’il savait qu’il marchait vers sa mort, Jésus a voulu témoigner aux yeux du peuple qu’il était bien le Messie promis par Dieu à son peuple. Comme l’indique le récit évangélique, c’est la prophétie de Zacharie 9.9 qu’il met en œuvre : « Voici ton roi qui vient à toi, débonnaire et monté sur une ânesse et sur un ânon, le petit d’une ânesse » ! Et la foule des petites gens des faubourgs de Jérusalem s’est mise à croire que, en effet, le roi espéré, le descendant de David qui apporterait la félicité au peuple d’Israël, était bien là ! Jésus est acclamé, fêté ! Le texte de Matthieu ne nous dit pas comment se comporte Jésus à ce moment-là. Il est probable qu’il ne saluait pas les gens comme le font les chefs d’État d’aujourd’hui quand ils se livrent à des bains de foule ! Je l’imagine même profondément triste, juché sur l’ânon. Car il savait que le projet de le faire mourir était bien avancé et sa réalisation inéluctable. Du coup, je trouve que cette « procession des rameaux » comporte une dimension amère. Car nous savons que, quelques heures plus tard, cette foule qui a acclamé Jésus, va s’écrier « A mort ! A mort ! » à son encontre quand Pilate demandera qui il doit libérer : Barrabas ou Jésus ? Une fête tragique, comme toutes les fêtes excessives.

On peut penser que la foule qui acclamait Jésus croyait qu’un miracle allait survenir : le bonheur tout à coup servi sur un plateau ! On voit ce genre de réaction régulièrement, quand il y a des élections, et même des coups d’État, et qu’un nouveau pouvoir s’installe, porteur de plein de promesses irréalisables. Pourtant, Jésus n’a jamais rien promis de tel. Au contraire, il a proclamé qu’étaient heureux ceux qui pleuraient, ceux qui étaient persécutés pour la justice… Je crains que ce type de malentendu reste vrai chez nous aujourd’hui. Quand nous nous tournons vers Dieu, ne sommes-nous pas tentés de vouloir qu’il se montre « Tout Puissant », capable de résoudre nos problèmes comme par un coup de baguette magique ? En Jésus, Dieu s’est manifesté comme un frère, comme un ami, comme l’un de nous, pauvre et fragile, mendiant d’amour. Dieu paradoxal. En même temps Tout Puissant, et en même temps sans pouvoir !

En entrant à Jérusalem, Jésus est entré, aussi, en chacun de nous ! Il est venu à notre rencontre, le Messie pacifique ! Il est venu se mêler à notre vie, le Fils du Dieu vivant ! « Avec nous », voire : au-dessous de nous (quand il lave les pieds de ses disciples) : n’est-ce pas mieux que « au-dessus de nous » ?

Christian BOUZY

Un Dieu tout puissant et cependant sans pouvoir, et qui se place en dessous dans la position du serviteur. Un Dieu vulnérable et souffrant, cela ne séduit pas, cela nous dérange, cela nous choque peut-être ! Et pourtant beaucoup de textes bibliques le présentent ainsi.

Mais attention, ces textes ne font pas l’éloge du masochisme. Ils ne se complaisent pas dans la souffrance et la misère. On n’y trouve pas non plus cette doctrine qui dit que plus on souffre ici bas, plus on a de chance d’être récompensé dans l’au-delà ; vous savez avec cette représentation d’un dieu qui a hanté la chrétienté des siècles durant, un dieu un peu pervers qui nous enverrait des épreuves et des souffrances dans le temps présent, pour nous en délivrer le jour où ça lui plairait !…

Non, la souffrance n’est jamais souhaitable. Et je ne crois pas que Dieu veuille la souffrance. Alors direz-vous, pourquoi Jésus a-t-il tant souffert ? Pourquoi méditer sur sa passion cette année encore ? Pour ma part, c’est dans le verbe aimer que je trouve la réponse. Quand je dis Aimer, je ne parle pas d’une émotion passagère qui repartirait aussi vite qu’elle est arrivée. Je parle d’un amour qui se donne sans compter et jusqu’à l’oubli de soi-même. Cet amour qui a pris chair en Jésus. Et me vient à l’esprit l’image de cette mère qui pour sauver un enfant sur le point de se noyer emporté par un courant, s’est jeté à l’eau et a mis toutes ses forces dans la bataille pour le sauver, et cela au péril de sa propre vie. (J’évoque ici un fait véridique puisqu’il s’agit de ce qui est arrivé à l’écrivaine Anne DUFOURMENTEL). Et c’est je crois le sens de la passion de Jésus. Un don de soi total et qui me bouleverse toujours à nouveau.

Christian DELORME

La souffrance est toujours haïssable. Il n’y a pas de « bonne souffrance ». La douleur de parents qui perdent un enfant, le calvaire des personnes victimes de catastrophes naturelles ou des effets de la guerre, les supplices endurés par tous les torturés du monde, les affres de la maladie et de la solitude… Dieu ne peut pas vouloir cela pour ses créatures. Et si Jésus a vécu la Passion qui fut la sienne, ce n’est certainement pas pour que la souffrance soit magnifiée. Au contraire, sa terrible Passion, son horrible mort, pendu et asphyxié sur le bois de la croix, constituent une dénonciation définitive de la violence, une dénonciation définitive de tout ce qui peut détruire l’homme autant dans son corps que dans son esprit et son âme. La croix est un scandale ! Protestants, orthodoxes et catholiques, nous avons des pratiques différentes quant à la représentation, voire la vénération de la croix. Vous, protestants, vous donnez à voir des croix toutes nues, sans représentation du corps du Christ, car il est ressuscité. Les orthodoxes, eux, représentent bien le corps du Christ, mais un corps glorieux, ressuscité. Depuis le Moyen Age, c’est-dire à la période des grandes pestes, les catholiques ont des crucifix où le Christ est représenté souffrant, et cela a pu encourager des dévotions masochistes. Pourtant, il y a à l’origine de ces représentations du Christ souffrant deux idées tout à fait pertinentes. La première : quand nous contemplons le Christ en agonie, ce sont toutes nos souffrances et toutes les souffrances du monde que nous voyons aussi. Et tout cela est absolument insupportable. La croix peut nous aider à nourrir en nous une culture du rejet absolu de la violence. La deuxième : en Jésus, Dieu est venu partager la souffrance des hommes. Il a souffert comme nous ! C’est vraiment l’un de nous, et il peut nous comprendre !

Christian BOUZY

Nous sommes en 2023, et, avec Christian, nous avons pensé à deux anniversaires, celui de l’arrestation de R. de Pury par la Gestapo, ici, au temple de la rue Lanterne, alors qu’il s’apprêtait à monter en chaire pour célébrer un culte où une dizaine de jeunes devaient être baptisés ou confirmés ; c’était il y a 80 ans. Et celui de la marche de Martin Luther King sur Washington ; c’était il a 60 ans.

C’est à la lumière de leur foi en Jésus-Christ que Roland de Pury, Martin Luther King ont vécu leur engagement. Non pas parce qu’ils se prenaient pour le Christ, mais parce qu’ils étaient inspirés par lui. Je crois qu’ils ont été habités – eux et leur épouse aussi car on oublie trop souvent le rôle que leur épouse ont joué dans cette histoire. Ils ont été habités par ce même amour qui habitait Jésus. Oui, je sais, le mot amour est tellement utilisé et à toutes les sauces qu’on n’ose plus le prononcer. Mais quel autre mot utiliser. Quel mot aussi fort ? car c’est un amour qui va jusqu’au don de soi, et qui fait toute la place à l’autre. C’est un amour qui donne tout ce qu’il peut pour sauver celui est rejeté, méprisé, menacé de mort. Je pense aux familles juives sous le régime nazi, et à celles réfugiées dans les greniers de ce temple juste au-dessus de nous. Je pense aussi aux afro-américains méprisés et rabaissés à cause de la couleur de leur peau, et auprès desquels Martin Luther King s’est engagé.

On pourrait penser que, face à la violence aveugle d’un dictateur, ou face à un système de discrimination érigé en loi, un tel amour ne pèse pas lourd. Voire même qu’il ne sert à rien… Mais souvenez-vous de la petite histoire de l’enfant avec les étoiles de mer. Notre foi en Jésus-Christ nous montre le contraire en vérité ; l’amour est une véritable force de résistance contre la folie meurtrière d’un despote. L’amour de Jésus que nous célébrons en entrant dans la semaine sainte, ne se termine pas par sa mort. La mort n’a pas le dernier mot. Le récit de la passion ouvre sur la résurrection. L’amour qui habite Roland De Pury met sa propre vie en danger, mais elle le conduit à sauver des vies. L’amour qui inspire Martin Luther King débouchera sur son assassinat, mais elle met en branle une véritable dynamique, une force qui parviendra à ébranler tout un système politique et juridique basé sur la ségrégation. À longueur de page, les évangiles nous disent que l’amour est la seule puissance qui vaille, la seule puissance capable de transformer les cœurs, et de faire jaillir la vie toujours à nouveau. Martin Luther King disait – je cite – que « la doctrine chrétienne de l’amour – mise en œuvre par la méthode ghandéenne de la non-violence – est une des armes les plus puissantes dont puisse disposer un peuple opprimé dans la sa lutte pour la liberté. »

Christian DELORME

Cette année 2023 est celle du 60e anniversaire de la Marche sur Washington et du célèbre discours de Martin Luther King « I have a dream ! », « Je fais un rêve ! », un discours dont on dit qu’il a contribué à changer la face de l’Amérique. Martin Luther King a rêvé le monde à venir. Pourtant, il n’était pas un « doux rêveur ». Toute sa vie de pasteur baptiste, il s’est affronté au mal, à l’injustice, au racisme, à la violence. Comme Jésus son Maître, il savait qu’il marchait vers une mort précoce, victime de la haine qui est dans le monde. Mais, tout nourri de la Bible et de la lecture qu’en font les Negro Spirituals, il était sûr qu’il y a un « au-delà du malheur », un « au-delà de l’injustice », un « au-delà de la mort ». D’une certaine manière, Jésus aussi était un rêveur. Et, peut-être, que Dieu lui-même est un rêveur ? Car croire dans une humanité capable de se laisser aimer, de se laisser transformer, de pouvoir participer à la vie du Royaume qui est la vie de Dieu elle-même, cela ne demande-t-il pas de savoir rêver ? Ce qui est stupéfiant, quand on lit la Bible et quand on écoute le Christ, c’est l’incroyable foi en l’homme dont Dieu témoigne ! « Je crois en l’homme ! » dit Dieu sans cesse !

Christian BOUZY

Aujourd’hui, hélas, il y a encore et toujours des combats à mener contre des puissances qui détruisent et sème le chaos sur leur passage. Il y a des résistances à opposer aux pouvoirs tyranniques qui persécutent les minorités, ou aux idéologies qui sèment l’injustice et la discrimination.

Christian DELORME

En effet, l’amour de Dieu pour l’homme n’est pas un amour mièvre. Il y a des paroles dures dans tout le corps de la Bible et dans la bouche de Jésus elle-même, à l’encontre de tous ceux qui refusent la justice et la fraternité, qui rejettent l’amour. L’amour de Dieu pour l’humanité, c’est un amour où se fait entendre la colère en face de tout ce qui opprime l’homme, qu’il s’agisse des abus des puissants ou des contraintes religieuses excessives. Chez Jésus comme chez les prophètes jusqu’à Roland de Pury et Martin Luther King, il y a une vraie résistance aux méchants qui est exercée. Car il ne suffit pas de dire : « Respectez le pauvre, l’immigré ! ». Il faut, aussi, tout faire pour que soit réellement respecté, en effet, le droit du pauvre, le droit de l’immigré. Chanter dans nos temples et dans nos églises « Laisserons-nous un peu de place à l’étranger », ou bien « Tu es le pauvre, Seigneur Jésus, en toi la gloire éternelle ! », n’est que comédie si cela ne s’accompagne pas de gestes concrets au bénéfice du pauvre, de l’étranger. N’oublions jamais la parabole du riche et du pauvre Lazare !Ne laissons pas se creuser le gouffre qui nous sépare déjà et qui pourrait nous séparer toujours !

Christian BOUZY

Ainsi Jésus-Christ nous inspire un amour exigeant. Ce n’est pas un sentiment flasque et inconsistant qui amènerait à accepter béatement tout ce qui arrive. C’est un amour qui se traduit dans l’accueil de ceux qui sont rejetés et piétinés dans leur dignité. Et c’est aussi un amour qui devient protestation contre les puissances qui écrasent, quelles qu’elles soient, à l’exemple de Jésus qui a contesté les pouvoirs abusifs de son temps.

A cet instant, je pense aux réfugiés politiques ou aux migrants économiques. L’accueil et l’accompagnement que nous leur proposons par exemple dans le cadre de Lanterne Accueil, est tout à fait important. Mais il ne nous dispense pas de protester, chaque fois que cela est possible contre ces pouvoirs qui contraignent tant de gens à fuir leur pays.

Que Dieu nous soit en aide ! C’est ce que je demande pour moi déjà et pour tous aussi. Que notre prière et nos engagements soit portés par le désir que son Règne vienne, et que l’amour triomphe de toutes les puissances du mal.

Amen

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