Justice et sauvegarde de la Création
Dans la série, le troisième article est un extrait d’une prédication donnée au Temple des Terreaux le 15 septembre dernier, à partir du texte de l’évangile de Marc 8 versets 27 à 33. En résumé, je commence par souligner que la question de Jésus à ses disciples « qui dites-vous que je suis ? » est une façon de les appeler à s’interroger sur qui résonne en eux. Comment ce qu’ils ont vécu et partagé avec Jésus, fait résonance dans leur existence ?
« ../.. Si je porte attention à ce qui résonne en moi, je discernerai des consonances qui sont en totale harmonie avec ce que je pense. Mais je discernerai aussi des dissonances, des paroles qui frottent et qui heurtent l’esprit. Résonance ne veut pas dire accord. Et d’ailleurs, ce qui me frappe dans ce récit, c’est qu’à trois reprises, il y a désaccord. C’est d’abord Jésus qui « enguirlande » Pierre. De façon surprenante, alors qu’il vient d’ouvrir un dialogue avec ses disciples, tout à coup, il leur commande fermement de ne rien dire à personne. Puis c’est Pierre à son tour qui « enguirlande » Jésus lorsque celui-ci annonce sa passion, sa mort puis sa résurrection. Enfin, c’est Jésus qui à nouveau rabroue Pierre, en lui disant : « reste en arrière ! tu ne penses pas comme Dieu, mais comme les humains ! »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le dialogue est conflictuel. ../.. Il semble qu’il y a ici, non pas seulement un malentendu, mais un désaccord fondamental. Jésus ne répond pas à toutes les attentes de ses disciples et de
la foule qui vient à lui, et c’est pour cela, qu’il annonce ici qu’il va être rejeté et qu’il va beaucoup souffrir, jusqu’à en mourir. Et c’est pour cela qu’en retour, Pierre s’insurge à son tour contre ce que Jésus déclare. Mais comprenez bien; il se joue dans cette scène quelque chose de très douloureux, de part et d’autre. Et la souffrance que Jésus éprouve comme la souffrance de Pierre, ces deux souffrances sont aussi douloureuses que le désaccord entre eux est profond et existentiel. Car tout à coup éclate au grand jour deux visions opposées, deux compréhensions de la foi, inconciliables. Et d’une certaine façon, ce conflit entre Jésus et Pierre met en scène un débat qui agite notre propre foi. Car la foi de Pierre est aussi la nôtre, lorsque notre foi est fondée sur une volonté de puissance et de maîtrise sur tout ce qui nous entoure. Comme Pierre, nous suivons Christ, en nous disant que cela nous permettra de mieux maîtriser notre destin. Cela décuplera notre pouvoir d’agir sur notre histoire et celle des autres.
Et voici que Jésus se dévoile sous un autre visage. En annonçant la souffrance et la passion qui l’attend, il se révèle non pas comme un Dieu dont la puissance triomphera avec violence de toutes les résistances, mais
comme un Dieu qui choisit de s’abandonner à la violence du monde, pour en montrer l’impasse et la folie. Ainsi sur la croix de Golgotha, ce sont les images que nous avons de Dieu qui viennent mourir avec Jésus, c’est notre
attente d’un Dieu puissant qui augmentera notre maîtrise du monde qui est radicalement remise en cause. Car c’est un autre Dieu qui vient à notre rencontre, en Jésus-Christ, un Dieu qui se révèle faible et désarmé, comme c’est le cas pour tout amour véritable, toute relation de confiance qui passe forcément par l’acceptation de ses vulnérabilités, de part et d’autre. Avec un ami, on ne cherche pas à être plus fort, mais on se montre tel qu’on est, et on l’accepte tel qu’il est.
J’ai lu il y a peu, un livre du sociologue allemand Hartmut Rosa intitulé «Pourquoi la démocratie a besoin de la religion ? ». Parallèlement à ce passage de l’évangile et singulièrement, j’ai trouvé de profondes résonances entre l’un et l’autre. Hartmut Rosa interroge cet idéal de la modernité qui anime nos sociétés occidentales depuis plusieurs siècles déjà. Il en montre les limites et les impasses. Il met en lumière en particulier deux impasses : la première, c’est la crise écologique qui montre combien notre volonté de puissance et de contrôle s’est révélé destructrice pour notre environnement. Nos industries ont été de plus en plus agressives avec la nature. Elles ont foré toujours plus profondément pour chercher du pétrole; elles ont creusé toujours plus pour extraire des terres rares et du cobalt. Elles ont déforesté toujours plus pour construire et étendre leur emprise. Ainsi, obsédé par une volonté de puissance et de maîtrise, notre rapport à l’environnement est devenu agressif et destructeur.
La deuxième impasse mise en lumière par Hartmut Rosa, c’est l’épidémie de burnout qui touche de plus en plus de personnes et qui s’est accentuée un peu plus depuis la crise du COVID, dans le monde du travail en particulier.
La volonté de faire bien, le désir de tout maîtriser et tout contrôler peut déboucher sur un épuisement total. Et dans un cas comme dans l’autre, la crise débouche sur l’épuisement des ressources, épuisement des ressources
de la nature dans le cas de la crise écologique, ou épuisement des ressources psychiques dans le cas du burnout. Nous surchauffons l’atmosphère et nous surchauffons nos esprits au point de nous épuiser.
Et cependant, cet épuisement n’est pas une fatalité. Nous ne sommes pas condamnés à nous détruire. Ici aussi, le dernier mot n’est pas celui de la mort car il y a une résurrection possible, si nous interrogeons notre rapport
au monde, si nous changeons de priorités. Ainsi, je remarque qu’entre l’Évangile et notre idéal de la modernité, il y a un désaccord profond. Sans vouloir trop simplifier les choses, car la modernité a aussi du bon, et les avancées technologiques ont permis de grands progrès sur le plan de la santé et dans la lutte contre la pauvreté en particulier. Donc, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, mais simplement pointer un désaccord important : Dans l’idéal de la modernité, le mot d’ordre est: Il faut aller plus vite, il faut innover encore, il faut produire toujours plus de croissance.
Alors que dans l’Evangile, et tout particulièrement dans ce texte de l’évangile de Marc, on entend un autre « il faut », qui est aux antipodes. C’est ainsi que Marc écrit : « il faut que le fils de l’H souffre, il faut qu’il soit rejeté, qu’il soit tué, qu’il se relève trois jours après… » Et là, nous sommes devant un choix entre deux mots d’ordre, deux « il faut ».
Car l’obsession du contrôle et de la maîtrise du monde, nous empêche de nous laisser émouvoir par tout ce qui nous entoure. J’ai à l’esprit l’image d’un chauffeur de voiture qui s’emploierait à conduire de plus en plus vite,
au point de ne plus voir la beauté des paysages qui défilent. Hartmut Rosa dirait, au point de ne plus être en résonance avec le monde. Et il ajoute, le seul antidote à l’enfermement intérieur et à l’obsession du contrôle, c’est se laisser interpeller, c’est écouter avec son cœur, c’est se laisser appeler et atteindre par quelque chose d’autre. Et il souligne qu’il y a un mot qui traduit bien cela en allemand c’est le verbe « aufhören » qui résonne bien
avec le cœur qui écoute, et qui a un double sens ; d’un côté, ce mot veut dire arrêter, cesser, stopper. De l’autre, il signifie tendre l’oreille. Ainsi, pendant que je suis en train de traiter ma liste de tâches à réaliser et que je m’épuise, comme un hamster qui tourne dans sa roue, je suis appelé à dresser l’oreille et à écouter ce qui vient de l’extérieur. Je suis appelé à me laisser atteindre par une voix qui dit autre chose que ce qui est écrit sur ma liste de tâches. Je suis appelé à être à l’écoute de ce qui advient, en me révoltant contre ce qui fait mal, et en m’émerveillant de ce qui est bon et beau. Je suis appelé à vivre un rapport poétique au monde.
../..
Ainsi, nous voici appelés à suivre ce Jésus si déroutant. Et à nous placer derrière lui, plutôt que devant comme Pierre est tenté de le faire. Oui, derrière lui, pour nous mettre à l’écoute de ce qui ouvre à la vie véritable.
Amen.
Christian Bouzy
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