L’Église de la rue Lanterne est, depuis 1938, une paroisse de l’Église réformée de Lyon : la paroisse des Terreaux.
Le monde, la société, les Églises ne sont plus ce qu’ils étaient au temps d’Adolphe Monod. Les problèmes ne sont plus posés dans les mêmes termes. Et ce ne sont pas les mêmes problèmes.
Pour comprendre ce qui s’est passé alors, et saisir, malgré la différence, ce qu’il peut y avoir d’exemplaire dans l’attitude des fondateurs de l’Église Évangélique, il faut se reporter au climat de l’époque. C’est à ce climat que nous renvoie, paradoxalement, la personnalité exceptionnelle d’Adolphe Monod.
Adolphe Monod commence ses études de théologie à Genève, en 1820. A l’époque, un pasteur de Nîmes, Samuel Vincent, notait qu’en ces lendemains de la Révolution et des guerres napoléoniennes, les protestants étaient arrivés à un repos profond qui ressemblait trop à l’indifférence. Les prédicateurs prêchaient, le peuple écoutait, le culte conservait ses formes. Hors de cela personne ne s’en occupait. La religion était hors de la vie de tous.
Cependant, c’est aussi l’époque du premier Réveil, soutenu par des pasteurs et par quelques fidèles. Il existe à Genève, des groupes piétistes, des groupes moraves, puis des groupes méthodistes. Mais il est interdit aux étudiants de les fréquenter.
Peu avant l’arrivée du jeune Adolphe Monod, était passé à Genève Robert Haldane, un ancien officier de marine britannique devenu évangéliste et prédicateur du mouvement Réveil. Il eut une grande influence sur Frédéric Monod, frère aîné d’Adolphe, et qui était alors étudiant en théologie dans cette ville. Voici ce qui dit de cet enseignement :
Ce qui m’étonna et me fit réfléchir plus que tout autre chose, ce fut sa connaissance pratique de l’Écriture, sa foi implicite à la divine autorité de cette Parole, dont nos professeurs étaient presque aussi ignorants que nous … Nous n’avions jamais rien vu de semblable
Note 21. Ce mouvement religieux révolutionnaire va être introduit en France et en Suisse, et de lui vont sortir de grandes oeuvres du protestantisme. Ainsi : les Sociétés des Missions, les Sociétés bibliques, les Écoles du dimanche, l’oeuvre des Diaconesses.
Mais, en 1820, Haldane est parti. Et Adolphe Monod est flottant :
Orthodoxe, méthodiste, arien, je suit tout cela tour à tour … Je ne sais ni ce que je suis, ni ce que je dois faire, ni même ce que je veux.
Il aspire à une inaccessible perfection spirituelle et morale. Il écrit en 1824 :
Je veillerai sur moi-même, je m’humilierai, je me soumettrai, je me calmerai, je me fortifierai. Quelle que soit la force de mon naturel, il faudra bien qu’il cède.
Et il désespère :
Je ne pourrai jamais me décider à prendre les engagements et la responsabilité du ministère. Non, c’est impossible.
Il les prit cependant, et fut consacré le 8 juillet 1824. Mais il a toujours de grandes difficultés. Il écrit par exemple :
Je lis l’Épître aux Romains. Quelle obscurité ! Quel étonnant langage ! Qu’il est éloigné de toutes mes idées et de tous nos principes! L’Évangile, qui m’offre souvent des passages qui m’étonnent et quelquefois blessent ma raison et mon sentiment, n’a rien qui désespère plus que cette Épître. Je la lis, je la «lis ; rien ! Je n’y vois rien, mais rien ! … »
Des circonstances fortuites l’amènent à Naples, où se constitue alors une petite communauté d’origine suisse. Et elle le choisit comme pasteur !
Là, il traverse une grave crise spirituelle. Il doit se rappeler le conseil de Wesley :
Prêchez la foi en attendant que vous l’ayez.
Mais il ne peut le suivre, et il écrit :
Je suis dans un état de désordre, de péché. Je le sens, je ne suis pas en harmonie avec moi-même. Mon principe philosophique n’est pas satisfait. La perfection de la créature ne peut consister que dans la relation avec le Créateur ; et cependant, et c’est là le péché, j’ai été à moi-même mon centre, jusqu’à ce moment. Il faut être dépendant, j’ai voulu être indépendant. J’ai voulu être original ; j’ai craint de me perdre dans le grand tout. J’ai voulu me faire ma religion à moi-même au lieu de la prendre en Dieu.
…
Il n’y a qu’une influence extérieure qui puisse me changer. La réflexion n’y peut rien, car pour débrouiller mes pensées, il me faudrait des siècles. Il faut une action extérieure pour me changer …
Ce qui rappelle l’expérience de Luther …
Adolphe Monod reste dans cette situation jusqu’au 21 juillet 1827, passant de l’angoisse au divertissement.
Et, le 21 juillet 1827, c’est ce qu’il appelle le soleil du 21 juillet. Le samedi 21 juillet, il se promène dans Naples. Et, sous le soleil, il pleura presque de chagrin en pleine rue. Il rapporte que, rentré chez lui, il laissa éclater son désespoir en un torrent de larmes. Tombé à genoux, c’est alors qu’il reçut la paix.
Il écrit à sa soeur :
Voyant, comme par un trait de lumière, que mon esprit était et avait toujours été dans un état d’aveuglement et de déviation qui devait cesser pour que je puisse avoir la paix ; qu’attendre la cessation de ce désordre de ma raison et de ma volonté, qui en étaient atteintes elles-mêmes, ce serait faire comme un aveugle qui prétendrait corriger la cécité d’un de ses yeux à l’aide de son autre oeil, aveugle aussi ; qu’ainsi je n’avais de ressource que dans une influence extérieure, je me ressouvins de la promesse du Saint-Esprit. Et, ce que les déclarations si positives de l’Évangile n’avaient pu me persuader, l’apprenant enfin de la nécessité, je crus, pour la première fois de ma vie, dans un seul sens selon lequel elle pouvait répondre le mieux aux besoins de mon âme, dans celui d’une action réelle, extérieure, surnaturelle, capable de me donner et de m’ôter des sentiments et des pensées, et exercée sur moi par un Dieu maître de mon coeur aussi véritablement qu’il l’est de la nature »
Note 22. (14 août 1827) Lettres, tome I, p. 119.
Une trentaine d’années plus tard, sur son lit de mort, Adolphe Monod devait rappeler cette expérience décisive en ces tertres :
A partir de ce jour, une vie intérieure nouvelle commença pour moi. Non pas que ma mélancolie eût disparu, mais elle avait perdu son aiguillon. Oh ! si ces lignes pouvaient être pour vous ce que fut pour moi le soleil du 21 juillet 1827.
A l’époque, en août, trois semaines après ce fameux jour, il avait écrit à sa soeur :
.., auparavant, j’étais sans Dieu, et chargé moi-même de mon bonheur, et maintenant j’ai un Dieu qui s’en est chargé pour moi. Cela me suffit … Comme il y a un aime sans fond de misère à ne compter que sur soi-même, il y a un abîme sans fond de consolation et d’espérance à ne compter que sur Dieu
D’aucuns ont pu écrire qu’Adolphe Monod était « né de l’Esprit ». Je me bornerai à situer son témoignage face à la torpeur, aux pesanteurs et aux compromissions des Églises de son temps.
Lui n’a pas jamais rompu avec l’É.R.F., avec l’Église Réformée. D’autres, par la suite ont rompu, notamment dans les années 1847-48. A cette époque-là, l’É.R.F. passe par une crise. Organisation de l’Église, séparation de ]Église et de l’État, confession de foi, tout est remis en question. Des Assemblées générales se réunissent. Et ce sont des discussions passionnées. La majorité des participants et des pasteurs s’oppose à toute réorganisation, à tout révision des affirmations doctrinales et de confession de foi.
Or, la même époque connaît des Réveils. En Grande-Bretagne, ils sont apparus au 18ème siècle. Ont surgi : le méthodisme, l’évangélisme, le Salutisme, l’Église presbytérienne d’Écosse (avec Haldane, (+ 1851). En Suisse romande, il y a Alexandre Vinet (+ 1847).
Les Réveils relaient et réactualisent le Piétisme, ce qui implique :
- retour à la Bible
- retour à la vie communautaire
- anti-institutionnalisme
- volonté de convertir le monde
- égalitarisme
- fraternité entre les croyants
- importance de l’expérience personnelle et du témoignage
- importance de l’éducation
- liberté religieuse et liberté de l’Église par rapport à l’État.
On ne peut manquer de constater ces influences sur la formation de la pensée d’Adolphe Monod, et sur sa vie.
Note 23. 23. A cette époque naissent les Communautés de diaconesses, en particulier celle de Reuilly (1832), dans laquelle Adolphe Monod se trouve impliqué par ses relations avec le pasteur Vermeil.
Face à l’Église de Lyon, telle qu’elle était alors, Adolphe Monod n’avait pas le choix. Il aurait pu reprendre la formule célèbre : Je ne puis autrement…