Histoire de notre Église

Avertissement : Ceci n’est qu’un historique de la paroisse des Terreaux, celle de la rue Lanterne. J’ai pu reconstituer ses débuts grâce à des documents que m’a procurés Robert Blanc-Marrel. Des archives se trouvent aussi à Paris. Ensuite, l’accent a été mis sur quelques moments forts, avec lesquels le temps nous a donné une certaine distance. Bien des pasteurs ont marqué cette Église, et lui ont beaucoup apporté. Il n’est fait mention ici que de ceux qui ont dû affronter des événements particulièrement graves. Il resterait à écrire une Histoire plus complète.

Éliette Van Haelen, Janvier 1992.

Les origines

Les Églises sont sous le régime du Concordat, qui remonte à 1801 et à Napoléon 1er. Les pasteurs sont alors fonctionnaires de l’État ; ils dépendent d’un Ministère de l’instruction publique et des cultes, et toutes les décisions ecclésiales devaient recevoir confirmation de la Préfecture.

Pasteur à Naples depuis 1826 (son premier poste), Adolphe Monod est appelé le 21 juillet 1827, par le Consistoire de l’Église Réformée de Lyon, qui l’élit, semble-t-il, dans l’enthousiasme. Il est surpris car on lui faisait une réputation de méthodiste. Il entre en fonctions en décembre 1827 comme second pasteur, et, quelques mois plus tard, il devient président du Consistoire. Il est apprécié. C’est un grand orateur. Mais bientôt, un malaise s’installe. Les fidèles sont habitués à une prédication rationaliste, portant sur l’existence de Dieu et sur la nécessité de faire des efforts pour Dieu. Or, Adolphe Monod prêche sur le salut par grâce.

Voici ce qu’à l’époque écrivait Edmond de Pressensé, au sujet de l’Église de Lyon : Nulle part plus que parmi les protestants de cette grande ville, l’ancienne foi réformée n’a subi une éclipse complète.

Adolphe Monod trouva pourtant, dans cette Église, des amis vivement attachés à l’Évangile. Mais, dans le Consistoire, la plupart des membres étaient désignés en fonction de leur situation et de leur fortune. Ceci correspondait aux Articles Organiques de 1802, qui faisaient une règle de choisir les Anciens parmi les paroissiens les plus imposés.

C’est dans ce climat que le jeune pasteur va prêcher les jugements de Dieu, la perdition de l’homme, la nécessité de la repentance et de la conscience.

À vous, votre premier amour, c’est la fortune ; vous en faites votre vie, votre sang, votre tout…
À vous, votre premier amour, c’est le rang, le crédit…
À vous, votre premier amour, c’est la science et le talent…
Presque tous, votre premier amour, c’est le monde et les choses de ce monde… vous vous en nourrissez, vous en vivez.

Et il pose les questions :

Pouvez-vous mourir tranquilles ?
Êtes-vous un meurtrier ?
Qui doit communier ?

Il proclame :

J’expose non mes pensées, mais les pensées de Dieu, et les expose revêtues non de mon langage, mais du langage de la Bible. Ce que je vous ai prêché, ce n’est pas mon opinion, c’est la vérité. Ce n’est pas une doctrine, c’est la doctrine. C’est plus : c’est la Vie, et, si vous ne croyez pas cela, vous demeurez dans la mort.

À ces industriels, il demande :

Avez-vous, dans vos manufactures, abusé de la faiblesse de l’enfance pour les charger d’un travail excessif, qui les fait végéter, languir, pâlir, et mourir lentement au profit de votre bien-être et de votre orgueil ?

Note 1. Novembre 1831 verra la Révolte des Canuts.

Le Consistoire, qui avait fait d’Adolphe Monod, son président, en vint à lui demander sa démission. Mais Adolphe Monod refusa. Alors commencèrent les tracasseries. On lui refuse un suffragant, on lui retire les catéchumènes, on l’empêche de faire au temple les cultes du soir, et on lui reproche les études bibliques qu’il tient chez lui. Voici ce qu’il écrit lui-même à propos de cette période :

Le Consistoire me traita d’abord avec une bienveillance et une estime distinguée, que ses procédés subséquents ne m’ont point fait oublier. Il y avait peu de temps que mon esprit avait été ouvert à l’intelligence de l’Écriture, et que j’avais reconnu la vérité de la doctrine dite orthodoxe. Mes sentiments religieux étaient encore peu éclairés et peu affermis. Mes premières prédications s’en ressentirent. Ce ne fut qu’en février 1828 que j’exposai pour la première fois la voie du salut, dans deux sermons que j’ai imprimés depuis sous le titre de La Misère de l’homme et la Miséricorde de Dieu, Depuis cette époque, ma prédication, suivant le mouvement de ma conviction personnelle, devint de plus en plus claire et prononcée dans le sens des Écritures et de la Confession de foi. Je pus remarquer dès lors qu’elle commençait à déplaire, à inquiéter le Consistoire…

Note 2. Récit rédigé par Adolphe Monod, intitulé
& « La destitution d’Adolphe Monod » publié en l884, chez Meyrueis, 174 rue de Rivoli, Paris.

Les journées déterminantes :

  • le 20 mai 1831 : sermon sur Qui doit communier ? :

    Où suis-je ? Est-ce bien ici l’Église du Christ ?… Verra-t-on toujours le désordre jusque dans le sanctuaire ? La table, la table de notre Sauveur sera-t-elle toujours profanée? Les jours de communion seront-ils toujours pour un ministre fidèle des jours de deuil, de scandale et d’angoisse ? Oh, pour moi, j’aimerais mieux jeter au vent le sang du Christ que de le livrer à une bouche incrédule et profane. Oui, mon Dieu, j’aimerais mieux poser sur une pierre le corps du Christ et jeter au vent le sang du Christ que de le donner de cette manière! Ôte, ôte le scandale de ton Église !

  • le 28 mars, le Consistoire censura Monod à propos de ce sermon.
  • le 14 avril, Monod prononça devant le Consistoire, un discours dans lequel il rappelait les règlements de la Discipline réformée concernant la Cène et demandait instamment au Consistoire de veiller à l’observation de ces règlements. La réponse du Consistoire fut la destitution.
  • le 15 avril, le Consistoire rédigea l’arrêté suivant :

Le Consistoire, après avoir pris individuellement connaissance du sermon de M. Monod, prononcé en chaire le 20 mars dernier, et publié chez Laurent, libraire :

Vu les procès-verbaux des séances du 28 mars et 14 avril ; vu l’article 25 de la loi du 18 germinal an X ; considérant qu’il est du devoir du Consistoire, tout en maintenant la liberté de la chaire, d’empêcher qu’un pasteur n’abuse de cette liberté en se livrant à des personnalités outrageantes, soit envers les autres pasteurs, soit envers les membres de l’Église ; considérant que M. Monod a, par une proposition faite dans la séance du 15 avril, voulu rétablir, une sorte d’inquisition, qui, quoique consacrée par la Discipline de l’Église, est tombée en désuétude depuis plusieurs siècles ; considérant que les moyens de douceur et de persuasion ont été vainement employés depuis longtemps pour ramener M. Monod à des sentiments de paix et de modération,

Arrête :

  • Article premier. M. Monod, pasteur de l’Église réformée de Lyon et président du Consistoire, est destitué.
  • Article second. Le présent arrêté, accompagné d’un exemplaire du discours précité et de l’extrait du procès-verbal de la séance du 14 avril renfermant la proposition de M. Monod, sera adressé à M. le Ministre de l’Instruction publique et des cultes, afin que la destitution soit confirmée par lui.

Note 3. A. Monod. « La destitution d’Adolphe Monod » (p. 10).

En attendant la décision officielle, les temples de Lyon sont fermés à Adolphe Monod. Cette décision ne parviendra qu’en mars 1832.

Cette séparation, Adolphe Monod l’avait en quelque sorte prévue dès 1830. Il écrivait alors à son frère Guillaume :

Il est impossible que les deux doctrines qui se partagent l’Église Réformée (orthodoxie et libéralisme) continuent de vivre ensemble. Il FAUT qu’il y ait une nouvelle organisation. Je prévois un mouvement dont Lyon sera peut-être les premier pas, puisque c’est ici que la lutte est la plus forte.

Note 4. Lettres, tome Il, p. 74.

Et, en janvier 1831 :

À considérer la lettre de l’Écriture et l’exemple de l’Église primitive, je serais porté à la séparation … Séparé, c’est à dire libre, ne pourrais-je pas suivre plus activement le Seigneur, et d’une manière plus étendue ?

Note 5. Lettres, tome t, p. 175.

Devenu séparé par la destitution sans s’être séparé, Adolphe Monod fut pressenti pour occuper une chaire professorale à l’École de théologie de Genève. Mais il refusa, et accepta l’appel du groupe qui, à Lyon, l’avait précédé dans l’indépendance, et se trouvait sans pasteur. Il y fut encouragé par une lettre de son frère Frédéric, alors pasteur à l’Église Réformée de Paris, qui lui disait :

Nous avons été unanimes à penser que tu ne peut pas quitter Lyon dans ce moment ; que ta tâche actuelle est d’y fonder une Église fidèle. Plus tard, Dieu te montrera s’il veut l’appeler ailleurs… Nul n’est placé comme toi aujourd’hui pour fonder cette Église, et les chrétiens de Lyon ne doivent pas être abandonnés. Il est d’une grande importance de montrer aux Consistoires que, s’ils peuvent chasser les pasteurs fidèles de l’Église nationale, ils ne peuvent pas chasser l’Évangile des localités où il a commencé à être prêché. Nous avons considéré l’influence que pourra exercer au loin l’Église fidèle. (24 mars 1832).

Dans son texte : « La destitution… », il distingue quatre phases :

  • 1) du 25 décembre 1827 au 25 juin 1829
  • 2) du 25 juin 1829 au 25 février 1830
  • 3) du 25 février 1830 au 15 avril 1831
  • 4) du 15 avril 1831 au 21 mai 1831

La première période est marquée par des tracasseries. Refus d’un suffragant qu’il souhaitait, M. Dartre, étudiant à Montauban, pourtant recommandé par M. M. Bonnard. Opposition grandissante à la suite de deux prédications :

  • Pouvez-vous mourir tranquille ? (19 avril 1828),
  • La sanctification par le salut gratuit (17 mai 1828).

Dans une lettre (datée du 18 août 1829), adressée à son ami le pasteur Valette, qui l’avait remplacé à Naples, Adolphe Monod rapporte que le Consistoire lui a demandé de changer ses prédications. Il écrit :

Le 30 mai, le Consistoire s’assembla pour décider qu’on m’enverrait une députation pour m’inviter à changer ma prédication et ma manière d’être- Je la reçus le 2 juin… Le changement désiré était que je prêchasse et agisse comme si je ne croyais pas au salut gratuit. Je répondis que je ne le pouvais pas.

Il ajoute :

La grande cause de l’opposition, et presque la seule, est la clarté et la hardiesse avec laquelle le Seigneur me donne de proclamer LE SALUT PAR LA CROIX, qui semble une FOLIE à cet AUDITOIRE presque tout MONDAIN. Je ne me sens pas le droit de GRADUER, de ne donner qu’une lueur d’abord de la vérité, et puis d’y ajouter peu à peu. je donne tout ce que Dieu me donne, et ma prédication croît à mesure que croît mon christianisme personnel. La prière m’a conduit à cette manière franche d’agir et de parler ; peut-être aussi mon caractère naturel m’y pousse ; mais je n’ai jamais pu, devant Dieu, me prescrive une prudence chrétienne qui consisterait à déguiser une partie de la vérité, pour la montrer dans une autre occasion

Note 6. Lettres, Tome II, p. 74.

À la suite de la démarche infructueuse du 2 Juin, le Consistoire s’assembla le 5 juin et résolut de demander à M. Monod sa démission, en lui donnant, toutefois, une nouvelle occasion de s’expliquer. Le 20 juin, Adolphe Monod prononça un discours qui est une véritable profession de foi en même temps qu’un plaidoyer pour sa cause. En voici un passage :

J’espère et je crois que ma démarche n’a rien de personnel. Ce n’est pas moi qui suis accusé ni moi que je veux justifier. C’est mon Dieu et mon Sauveur qui est accusé, et c’est mon Dieu et mon Sauveur que je veux justifier. Je ne tiens ni à mon honneur, ni à ma place, ni à ma santé, ni à ma vie, qu’autant que ce sont les dons de Dieu m’a faits, et qu’il faut que je ménage pour le service de Jésus-Christ…

J’ai besoin de vous assurer en particulier que la douleur profonde que vous me donnez est pure du plus léger mélange d’amertume contre aucun de vous ; et que je donnerais de bon coeur tout ce qui me reste d’une santé déjà chancelante et que vous croyez devoir compromettre au risque de la ruiner dans sa fleur, si par ce sacrifice je pouvais faire partager à un seul de vous cette félicité divine dont vous redoutez la contagion.

Note 7, Lettres, Tome 1, p. 175.

Fin de cette première période : confirmation le 25 juin, de l’arrêté pris le 15 avril, concevant la destitution.

La seconde période est marquée par une tension croissante. Adolphe Monod ressent les actes du Consistoire comme de plus en plus hostiles. Deux exemples de cette tension :

lors de son mariage, le 2 septembre 1829, Adolphe Monod ne fait pas appel à ses collègues libéraux de Lyon, mais à un pasteur évangélique do Grenoble, M. Bonifas.

À l’occasion de la nomination d’un troisième pasteur, le 9 octobre 1829, le Consistoire se prononce en faveur d’un pasteur notoirement libéral, et Monod proteste énergiquement :

La première qualité que doit chercher un Consistoire dans un ministre qu’il appelle, c’est que sa prédication soit conforme aux Saintes Écritures.

Adolphe Monod a entendu prêcher le pasteur en question, et il estime que jusqu’à présent, sa prédication n’a pas été conforme aux Écritures.

À partir de novembre 1829, des considérations d’ordre financier vont intervenir. Le 14 novembre, le Consistoire se voit obligé de lancer une vaste collecte, et pour cela, il envoie une circulaire. En réponse, une pétition lui est adressée, qui demande l’éloignement d’Adolphe Monod.

Il la reproduit dans son Récit. En voici des extraits :

La concorde régnait dans notre église : une longue suite d’années de paix avait établi de famille à famille des rapports fraternels et vraiment évangéliques’; s’aimer, s’aider, prouver sa foi en Dieu par ses oeuvres, tel était l’esprit qui animait tous les fidèles en tête desquels vous vous trouvez placés.

Les agitations, les dissidences provoquées à Genève et dans le canton de Vaud par le zèle imprudent de quelques jeunes commentateurs des saintes Écritures, avides de produire de nouvelles théories ou d’exhumer d’anciennes doctrines que le bon sens et la raison de l’homme, mieux développée qu’à l’époque de la Réformation, avaient sagement mis sous le scellé ; ces agitations… n’avaient heureusement point envahi le seuil de notre église.

Il appartenait à un jeune théologien, de venir, si ce n’est ruiner, tout au moins gravement compromettre le calme divin dont nous jouissions…

Il est inutile de vous retracer les prédications pernicieuses de M. Monod : elles ont été contraires à la majesté, à la bonté de Dieu, à l’espérance qui doit soutenir et consoler l’homme pendant son pèlerinage ici-bas, à la tolérance enseignée par Jésus. La plus belle, la plus sainte des religions sera toujours la religion des bonnes œuvres dictées par la conscience : le Christ lui-même nous en a donné l’exemple…

Le même temple, les mêmes cœurs, les mêmes âmes, ne sauraient être alternativement frappés des deux doctrines opposées. Les élans de M. Monod, les anathèmes qu’il lance sur l’espèce humaine à l’exclusion de sa personne, l’enseignement d’une foi extatique préférable à toutes les œuvres, l’enseignement d’une croyance qui dépouille l’homme de toute capacité au bien comme moyen de salut, et rend tous les efforts, toutes les larmes de la vertu inutiles si elle se trouve dénuée d’une disposition romantique et indéfinissable à la grâce ; ce mysticisme si dangereux pour les classes qui n’ont pas le temps de s’occuper à fond de ces questions ne peut pas être écouté avec insouciance et toléré à côté des discours et des encouragements plus évangéliques et plus rationnels de nos autres pasteurs. Vous en apprécierez les graves inconvénients…

Que M. Monod exerce librement ses facultés théologiques, qu’il s’entoure de ses adeptes, qu’il ouvre des écoles, une église ; mais que ce ne soit pas dans la nôtre qu’il répande le malaise et blesse la raison émanée de la Divinité… M. Monod ne se plaindra pas de notre impatience : deux années lui ont été accordées pour le développement de son système et le bouleversement de quelques consciences ; la nôtre ne s’accommode plus ni de ses enseignements, ni de l’acharnement qu’il met à faire des prosélytes même parmi les catholiques…

Nos secours volontaires, pour l’entretien du culte vous seront remis avec empressement dés l’instant où M. Monod ne comptera plus au rang de nos ministres, car nous devons expressément vous déclarer que nous n’entendons plus que ces secours lui soient applicables, et que nous voulons pouvoir fréquenter notre église sans être affligés par l’obscurité de sa doctrine et par l’intolérance des ses actions.

Note 8 « la destitution d’Adolphe Monod », pp. 58-63.

Cette pétition avait recueilli à peine 120 signatures, en dépit semble-t-il d’efforts laborieux. Toutefois, le Consistoire nomma une commission pour examiner l’état de l’Église et en faire son rapport le plus tôt possible. La commission eut avec Adolphe Monod, un entretien le 22 décembre (1829). Elle déclara que la Consistoire invitait une seconde fois Adolphe Monod à donner sa démission, et que, s’il la refusait, il le destituerait.

Adolphe Monod demanda du temps pour réfléchir, et prit conseil de plusieurs amis et de dix pasteurs connus pour leur piété et leur sagesse. Parmi eux : MM. Blanc (de Mens), Cellérier père, Charles Cook, Glaussen, Gonthier, Lissignol, Soulier (Anduze), Wilks. Tous conseillèrent à M. Monod de ne pas donner sa démission. Aussi, le 1er février 1830, Adolphe Monod convoqua le Consistoire et prononça un discours [qui fut inséré au procès-verbal). Il prouvait que son enseignement était conforme à la foi de l’Église réformée, à la Confession de la Rochelle, et que son devoir était de rester dans l’Église à laquelle il était fidèle. Il mettait l’accent sur l’illégalité de la décision du Consistoire et terminait ainsi :

Songez-y, Messieurs, ce débat n’est pas de vous à moi ; il intéresse, il occupe toute l’Église réformée de France. Ma cause est celle de tous les pasteurs de cette Église qui sont fidèles à leurs engagements. En me destituant, vous consacreriez un principe qui la remue jusque dans ses fondements.

Note 9. Ibid, p. 77.

La commission remit son rapport au Consistoire le 9 février. Et lors d’une nouvelle séance le 22 février, le Consistoire repoussa, là une faible majorité), l’idée de la destitution, tout en déclarant solennellement que la présence de M. Monod était un malheur pour l’Église de Lyon. Cette déclaration n’apaisa pas les partisans de la destitution, et plusieurs démissionnèrent, tant anciens que diacres.

Note 10. Ibid, p. 81.

La troisième période est également jalonnée de tracasseries diverses.

À propos de l’École du dimanche
au sujet du service du jeudi soir dont le Consistoire veut l’écarter
Le 24 novembre (1830), il est invité à ne plus distribuer de traités religieux, pour ne pas heurter les catholiques.

Le 9 janvier 1831, Adolphe Monod répond par une sorte de rapport. Après avoir montré le catholicisme abandonnant la doctrine de la grâce et le livre de la grâce, il exalte la Réforme qui met en lumière et la doctrine et le livre. Puis il décrit ce qu’il appelle la contre-Réforme, le rationalisme destructeur de la foi et de la vie. Il écrit :

Quand l’Église réformée se fut étendue, affermie et assise, il lui arriva ce qui était arrivé au commencement de l’Église chrétienne : elle s’altéra par l’introduction de l’erreur dans son propre sein. On se lassa encore une fois de la doctrine de la grâce ; il s’éleva des hommes, et des pasteurs à leur tête, qui ramenèrent la doctrine des œuvres… Mais que ferait-on de la Bible, au nom de qui la doctrine de la grâce avait été ramenée, et dans laquelle elle était contenue avec une si irrécusable clarté ? L’écarterait-on comme avait fait le pape ? On ne le pouvait pas puisqu’on n’existait qu’en vertu d’elle comme Église réformée. On ne le voulait pas non plus parce qu’elle contenait encore beaucoup de choses qu’on respectait et qu’on croyait, après avoir cessé de la recevoir dans son ensemble.

On imagina un principe d’interprétation qui permettait de Garder la Bible sans en garder la doctrine. Ce principe, le voici : Dieu ne peut contredire par la Révélation ce qu’il a déjà enseigné à l’homme par la raison ; il faut donc, en lisant la Bible, soumettre ce qu’elle enseigne au jugement de la raison, et ne rien croire qui ne soit en harmonie avec elle…

Mais encore, que ferait-on des Réformateurs qui avaient si fortement rétabli la doctrine de la grâce et l’avaient consignée dans les confessions de foi sur lesquelles les Églises réformées étaient fondées ? Répudierait-on ouvertement leurs ouvrages ? Non ; mais on continuerait de les respecter tout en rejetant leurs enseignements…

On fit passer le nouveau principe d’interprétation de la Bible sous le nom des Réformateurs. On le donna pour le principe de la liberté d’examen, conquis et proclamé par les Réformateurs. Jamais on ne vit un plus étrange abus des mots ni une plus funeste confusion. La liberté d’examen qu’on invoquait était précisément le contraire de celle que les Réformateurs avaient proclamée. Les Réformateurs avaient dit : Examinez librement; ne vous soumettez pas à l’interprétation des papes et des conciles ; ne vous soumettez qu’à la Bible ; lisez et croyez. Les novateurs disaient : Examinez librement ; ne vous soumettez point aveuglément à l’enseignement de la Bible ; soumettez tout à votre raison ; lisez et jugez. Les Réformateurs n’entendaient se déclarer libres qu’à l’égard des papes et des conciles, et c’était pour s’assujettir à la Bible ; les novateurs se déclaraient libres à l’égard de la Bible, et c’était pour s’assujettir à leur jugement personnel…

Ainsi on empruntait le nom, l’autorité et jusqu’à l’expression des Réformateurs, pour détruire leur ouvrage ; on renversait ce qu’ils avait établi, et on rétablissait ce qu’ils avaient renversé. C’était la contre-Réforme. Elle devait porter des fruits contraires à ceux de la Réforme : elle les porta, Le prétendu principe de la liberté d’examen se répandit dans toute l’Europe protestante, et dans une contrée où il se présenta avec plus de franchise qu’ailleurs, il prit un nom qui le caractérise d’après son origine : le rationalisme. Le rationalisme ramena partout où il pénétra la doctrine de la justification par les œuvres. Elle altéra l’Église réformée jusque dans ses fondements…

Ainsi entre la doctrine de la grâce qui reprend possession de l’Église réformée et la doctrine des œuvres qui veut s’y maintenir, a commencé une lutte qui ne peut se terminer que par la défaite de l’une ou de l’autre ; car elles ne peuvent vivre ensemble, elles s’excluent mutuellement…

Note 11. Allusion au mouvement du Réveil.

Je crois qu’il est impossible que les deux doctrines opposées restent en possession de la même Église, et qu’une séparation doit se faire… J’estime que la doctrine de la grâce est celle à laquelle seule appartient l’Église réformée de France… ; qu’elle y est chez elle, qu’elle doit y rester, et que c’est à la doctrine des œuvres à sortir.

Le Consistoire refusa l’inscription de ce rapport au procès-verbal, bien que cette insertion fût d’usage courant. On était en janvier. Allait suivre le sermon du 20 mars. Et la destitution.

La quatrième période commence par une protestation d’Adolphe Monod contre sa destitution. Le 20 avril 1831, il lut sa protestation au Consistoire. L’insertion au procès-verbal lui en fut refusée.

Incident le jour de Pentecôte. Après avoir essayé de se faire remplacer, Adolphe Monod dut prêcher, mais il refusa de donner la Cène. Il avait auparavant demandé à l’un de ses collègues de la donner à sa place. Dès lors, Adolphe Monod fut dans l’impossibilité d’exercer son ministère. Le mardi 24 mai, le concierge du temple lui refusa le registre des baptêmes. Et il lui fut interdit de recevoir ses catéchumènes.

L’arrêt de destitution rendu par le Consistoire le 15 avril 1831 fut confirmé le 19 mars 1832 par une ordonnance royale, qui ne formula aucun considérant… Cette ordonnance, signée de Louis-Philippe, Montalivet et Cuvier, fut transmise par le préfet du Rhône, Gasparin. Un mois plus tard, en avril 1832, Adolphe Monod fondait l’Église Évangélique de Lyon. Il allait en être le pasteur jusqu’en 1836, date de son départ pour la faculté de théologie de Montauban. Voici comment il termine son Récit de cette période dramatique :

Je remets tranquillement ma cause entre les mains de Dieu, auquel soit gloire, honneur, louange, aux siècles des siècles, en ses enfants et en ses ennemis, par Jésus-Christ notre Sauveur. Amen

Note 12. « La destitution d’Adolphe Monod ». (p. 165).


Les étapes de l'Église des Terreaux

Le 29 avril 1832, cinquante cinq personnes se réunirent pour le culte dans l’appartement que le pasteur Adolphe Monod occupait, quai de Retz.

L’organisation de l’Église fut lente et difficile, du fait de la diversité des éléments qu’elle groupait. Il y avait là des dissidents, séparatistes de principe, qui formaient la couche la plus ancienne, des transfuges de l’Église réformée, qui s’étaient sentis obligés d’en sortir quelques années avant ; il y avait les fidèles arrivant avec Adolphe Monod, et aussi des prosélytes venus du catholicisme et de l’irréligion. Les premiers penchaient pour une Église dissidente, à direction congrégationaliste, les autres avec le pasteur, pour une Église évangélique indépendante de l’État, mais ayant conservé les bases ecclésiologiques et ecclésiastiques du système calviniste réformé.

Adolphe Monod s’en explique souvent à cette époque. Il écrit par exemple :

11 faut, Seigneur, que j’agisse de telle manière que l’œuvre de Lyon puisse servir de martèle à toutes les Églises de France qui pourront se trouver dans la même position.

Il faut que je marche lentement, ne faisant qu’un pas après l’autre, et n’en faisant pas un seul avec de m’être assuré d’avoir le Seigneur avec moi.

Note 13. Journal, 14 avril 1832 Lettres, tome 1, p. 204.

Nous nous occupons de la constitution de l’Église, et le Seigneur a tellement préparé les coeurs et les voies que les choses se feront, je l’espère, sans retard et sans difficulté. Tous les frères désirent d’être réunis. Les nationaux 14 veulent une discipline ; les dissidents s’élargissent. Tous s’aiment tendrement. Oh 1 béni, béni soit le Seigneur !

Note 14. Les nationaux étaient les fidèles qui étaient sortis de l’Église réformée de Lyon
mais qui n’étaient pas des dissidents. Ils étaient sortis avant l’affaire de la destitution.

Note 15. Lettre à Gaussen. 18 avril. Lettres, tome II, p. 103.

Je voudrais avant tout fonder l’Église nouvelle sur des principes favorables à son extension et à sa sanctification : scripturaires, simples, charitables, propres à développer la vie chrétienne non en paroles mais en actions.

Journal. 6 juin.

Les deux groupes, anciens et arrivants, avaient décidé de se fondre, et ils louèrent une salle Passage Thiaffait, au bas des pentes de la Croix-Rousse.

Note 16. Le passage Thiaffait s’ouvre sur la rue René Leynaud, au n° 19.

Il y avait deux cultes chaque dimanche, un le matin, un le soir, qui réunissait 100 à 200 personnes, et deux réunions par semaine.

La Communauté des Pauvres de Lyon, comme Monod aimait l’appeler en souvenir des premiers Vaudois, se développa régulièrement. À la fin de 1833, il y avait 70 à 80 communiants, et 145 quand Adolphe Monod quitta Lyon en 1836, pour la faculté de théologie de Montauban.

Quand, en 1847, Adolphe Monod sera appelé à Paris, à l’Église de l’Oratoire, il pensera à son ancienne Église évangélique de Lyon comme à son Paradis perdu.

En 1841, l’Église dispose d’une chapelle rue de l’Arbre sec, dans un immeuble de six étages. Il va comporter une salle d’asile, une école, et les appartements des instituteurs et des institutrices.

En 1844, l’Église compte 600 membres. Ce sont pour la plupart (7/8ème, dit-on), des ouvriers et des employés de la soie. Quelques-uns sont protestants d’origine, venus de l’Ardèche, de la Drôme, de Haute-Loire. D’autres sont nés catholiques, notamment les canuts. Il y a beaucoup d’assistés et peu d’actifs. Des secours financiers viennent de Hollande, d’Irlande, d’Écosse, d’Angleterre. des États-Unis …

Note 17. C’est le moment de la création de l’infirmerie Protestante.

Le 5 juillet 1857, l’Église se réunit pour la première fois rue Lanterne. L’immeuble de la rue de l’Arbre Sec ayant été démoli pour percer la rue Impériale (devenue rue de la République), les assemblées avaient dû se tenir quelque temps au n° 31 quai Saint Antoine.

L’Église de la rue Lanterne était prévue pour abriter aussi des oeuvres diverses d’enseignement.

Elle fut inaugurée en tant que Siège social de la société civile des écoles et du culte de l’Église évangélique de Lyon.

L’Église allait connaître un déclin entre 1855 et 1866, par suite du départ d’un grand nombre d’évangélistes. Toutefois, en 1866, elle comptait 607 membres.

En 1869, commence le ministère de Léopold Monod. L’année 1869 est celle qu’on surnomma Mors l’Année terrible. Et ce ministère commença très humblement. Cependant, l’Église de la rue Lanterne allait devenir l’Église de Léopold Monod.

C’est alors la création d’œuvres :

  • Les amis des vieillards et des enfants,
  • Les enfants à la montagne.

Léopold Monod inspire les fondateurs de la Croix bleue et de l’Espoir. Il encourage les Missions.

En 1894, il prendra, en chaire, fait et cause pour Louis Dreyfus, accusé sans preuves, accusé parce que juif.

De Léopold Monod, voici ce que dit le pasteur Henri Hollard, son successeur rue Lanterne :

Cet homme de Dieu qui se reprochait parfois de ne pouvoir provoquer par sa parole de nombreuses conversions était cependant un révélateur de la puissance de l’Évangile…

(Il fut) un des hommes qui a le mieux fait sentir aux âmes qu’il a servies, comme sert un vrai pasteur, l’éclatante vérité de l’Évangile éternel. Léopold Monod n’a jamais dit ni en privé ni en public, une seule parole qui ne fût fondée sur une foi réfléchie et profonde.

Note 18. Henri Hollard, pasteur. Cent ans de la vie d’une Église (1832-1932), pp. 16-17.

Le pasteur Henri Hollard avait passé quinze ans (de 1905 à 1920), aux côtés de Léopold Monod, avant de lui succéder.

Entre Adolphe Monod, le fondateur, et Léopold Monod, et au temps même de ce dernier, il y eut nombre de pasteurs à l’Église évangélique.

De 1842 à 1855, l’activité et les initiatives du pasteur Georges Frisch furent décisives pour le développement de cette Église. Il y avait alors quatre pasteurs.

Par la suite, et jusqu’en 1920, il y eut toujours deux pasteurs, parfois trois.

Un tableau permettra de mieux situer les moments de cette histoire, en parallèle aussi avec les grands mouvements internationaux.


Deux initiatives particulièrement importantes de l'Église évangélique de la rue Lanterne

L’infirmerie protestante, fondée en 1844 rue des Fantasques installée par la suite Cours du Général Giraud et très réputée, mais destinée tout d’abord aux indigents et aux impotents.

Note 19. Rue située à la Croix-Rousse et dominant le Rhône.

L’Église de la rue Lanterne la dirigea et l’administra jusqu’en 1882, date à laquelle se constitua un comité représentant tout le protestantisme lyonnais, l’infirmerie ayant été remise aux paroisses de Lyon.

L’Union chrétienne de jeunes gens (UCJG), fondée en 1898, et rattachée à l’YMCA, mouvement de jeunesse para ecclésial. Ce mouvement, créé à Londres en 1844, avait une base à Paris dès 1855. Son but : réunir les jeunes gens qui reconnaissent Jésus-Christ comme (leur) Dieu et Sauveur, qui veulent être ses disciples dans leur foi et leur vie, et diffuser le règne de leur Seigneur parmi les jeunes.

C’est un mouvement laque qui en inspirera d’autres :

Note 20. Il y eut un échange de lettres entre Théodore Blanc, membre du Conseil presbytéral de l’Église des Terreaux et président de l’UCJG, et le pasteur Léopold Monod, lettres dans lesquelles Théodore Blanc mettait en garde contre une tentation des Églises de faire de l’Union chrétienne une action ecclésiale.

  • le mouvement des étudiants chrétiens (1870),
  • le Scoutisme Unioniste.

et même, plus tard, d’une certaine manière, l’œcuménisme.


Sur les problèmes ecclésiologiques

L’Église de la rue Lanterne est, depuis 1938, une paroisse de l’Église réformée de Lyon : la paroisse des Terreaux.

Le monde, la société, les Églises ne sont plus ce qu’ils étaient au temps d’Adolphe Monod. Les problèmes ne sont plus posés dans les mêmes termes. Et ce ne sont pas les mêmes problèmes.

Pour comprendre ce qui s’est passé alors, et saisir, malgré la différence, ce qu’il peut y avoir d’exemplaire dans l’attitude des fondateurs de l’Église Évangélique, il faut se reporter au climat de l’époque. C’est à ce climat que nous renvoie, paradoxalement, la personnalité exceptionnelle d’Adolphe Monod.

Adolphe Monod commence ses études de théologie à Genève, en 1820. A l’époque, un pasteur de Nîmes, Samuel Vincent, notait qu’en ces lendemains de la Révolution et des guerres napoléoniennes, les protestants étaient arrivés à un repos profond qui ressemblait trop à l’indifférence. Les prédicateurs prêchaient, le peuple écoutait, le culte conservait ses formes. Hors de cela personne ne s’en occupait. La religion était hors de la vie de tous.

Cependant, c’est aussi l’époque du premier Réveil, soutenu par des pasteurs et par quelques fidèles. Il existe à Genève, des groupes piétistes, des groupes moraves, puis des groupes méthodistes. Mais il est interdit aux étudiants de les fréquenter.

Peu avant l’arrivée du jeune Adolphe Monod, était passé à Genève Robert Haldane, un ancien officier de marine britannique devenu évangéliste et prédicateur du mouvement Réveil. Il eut une grande influence sur Frédéric Monod, frère aîné d’Adolphe, et qui était alors étudiant en théologie dans cette ville. Voici ce qui dit de cet enseignement :

Ce qui m’étonna et me fit réfléchir plus que tout autre chose, ce fut sa connaissance pratique de l’Écriture, sa foi implicite à la divine autorité de cette Parole, dont nos professeurs étaient presque aussi ignorants que nous  … Nous n’avions jamais rien vu de semblable

Note 21. Ce mouvement religieux révolutionnaire va être introduit en France et en Suisse, et de lui vont sortir de grandes oeuvres du protestantisme. Ainsi : les Sociétés des Missions, les Sociétés bibliques, les Écoles du dimanche, l’oeuvre des Diaconesses.

Mais, en 1820, Haldane est parti. Et Adolphe Monod est flottant :

Orthodoxe, méthodiste, arien, je suit tout cela tour à tour … Je ne sais ni ce que je suis, ni ce que je dois faire, ni même ce que je veux.

Il aspire à une inaccessible perfection spirituelle et morale. Il écrit en 1824 :

Je veillerai sur moi-même, je m’humilierai, je me soumettrai, je me calmerai, je me fortifierai. Quelle que soit la force de mon naturel, il faudra bien qu’il cède.

Et il désespère :

Je ne pourrai jamais me décider à prendre les engagements et la responsabilité du ministère. Non, c’est impossible.

Il les prit cependant, et fut consacré le 8 juillet 1824. Mais il a toujours de grandes difficultés. Il écrit par exemple :

Je lis l’Épître aux Romains. Quelle obscurité ! Quel étonnant langage ! Qu’il est éloigné de toutes mes idées et de tous nos principes! L’Évangile, qui m’offre souvent des passages qui m’étonnent et quelquefois blessent ma raison et mon sentiment, n’a rien qui désespère plus que cette Épître. Je la lis, je la «lis ; rien ! Je n’y vois rien, mais rien ! … »

Des circonstances fortuites l’amènent à Naples, où se constitue alors une petite communauté d’origine suisse. Et elle le choisit comme pasteur !

Là, il traverse une grave crise spirituelle. Il doit se rappeler le conseil de Wesley :

Prêchez la foi en attendant que vous l’ayez.

Mais il ne peut le suivre, et il écrit :

Je suis dans un état de désordre, de péché. Je le sens, je ne suis pas en harmonie avec moi-même. Mon principe philosophique n’est pas satisfait. La perfection de la créature ne peut consister que dans la relation avec le Créateur ; et cependant, et c’est là le péché, j’ai été à moi-même mon centre, jusqu’à ce moment. Il faut être dépendant, j’ai voulu être indépendant. J’ai voulu être original ; j’ai craint de me perdre dans le grand tout. J’ai voulu me faire ma religion à moi-même au lieu de la prendre en Dieu.

Il n’y a qu’une influence extérieure qui puisse me changer. La réflexion n’y peut rien, car pour débrouiller mes pensées, il me faudrait des siècles. Il faut une action extérieure pour me changer …

Ce qui rappelle l’expérience de Luther …

Adolphe Monod reste dans cette situation jusqu’au 21 juillet 1827, passant de l’angoisse au divertissement.

Et, le 21 juillet 1827, c’est ce qu’il appelle le soleil du 21 juillet. Le samedi 21 juillet, il se promène dans Naples. Et, sous le soleil, il pleura presque de chagrin en pleine rue. Il rapporte que, rentré chez lui, il laissa éclater son désespoir en un torrent de larmes. Tombé à genoux, c’est alors qu’il reçut la paix.

Il écrit à sa soeur :

Voyant, comme par un trait de lumière, que mon esprit était et avait toujours été dans un état d’aveuglement et de déviation qui devait cesser pour que je puisse avoir la paix ; qu’attendre la cessation de ce désordre de ma raison et de ma volonté, qui en étaient atteintes elles-mêmes, ce serait faire comme un aveugle qui prétendrait corriger la cécité d’un de ses yeux à l’aide de son autre oeil, aveugle aussi ; qu’ainsi je n’avais de ressource que dans une influence extérieure, je me ressouvins de la promesse du Saint-Esprit. Et, ce que les déclarations si positives de l’Évangile n’avaient pu me persuader, l’apprenant enfin de la nécessité, je crus, pour la première fois de ma vie, dans un seul sens selon lequel elle pouvait répondre le mieux aux besoins de mon âme, dans celui d’une action réelle, extérieure, surnaturelle, capable de me donner et de m’ôter des sentiments et des pensées, et exercée sur moi par un Dieu maître de mon coeur aussi véritablement qu’il l’est de la nature »

Note 22. (14 août 1827) Lettres, tome I, p. 119.

Une trentaine d’années plus tard, sur son lit de mort, Adolphe Monod devait rappeler cette expérience décisive en ces tertres :

A partir de ce jour, une vie intérieure nouvelle commença pour moi. Non pas que ma mélancolie eût disparu, mais elle avait perdu son aiguillon. Oh ! si ces lignes pouvaient être pour vous ce que fut pour moi le soleil du 21 juillet 1827.

A l’époque, en août, trois semaines après ce fameux jour, il avait écrit à sa soeur :

.., auparavant, j’étais sans Dieu, et chargé moi-même de mon bonheur, et maintenant j’ai un Dieu qui s’en est chargé pour moi. Cela me suffit … Comme il y a un aime sans fond de misère à ne compter que sur soi-même, il y a un abîme sans fond de consolation et d’espérance à ne compter que sur Dieu

D’aucuns ont pu écrire qu’Adolphe Monod était « né de l’Esprit ». Je me bornerai à situer son témoignage face à la torpeur, aux pesanteurs et aux compromissions des Églises de son temps.

Lui n’a pas jamais rompu avec l’É.R.F., avec l’Église Réformée. D’autres, par la suite ont rompu, notamment dans les années 1847-48. A cette époque-là, l’É.R.F. passe par une crise. Organisation de l’Église, séparation de ]Église et de l’État, confession de foi, tout est remis en question. Des Assemblées générales se réunissent. Et ce sont des discussions passionnées. La majorité des participants et des pasteurs s’oppose à toute réorganisation, à tout révision des affirmations doctrinales et de confession de foi.

Or, la même époque connaît des Réveils. En Grande-Bretagne, ils sont apparus au 18ème siècle. Ont surgi : le méthodisme, l’évangélisme, le Salutisme, l’Église presbytérienne d’Écosse (avec Haldane, (+ 1851). En Suisse romande, il y a Alexandre Vinet (+ 1847).

Les Réveils relaient et réactualisent le Piétisme, ce qui implique :

  • retour à la Bible
  • retour à la vie communautaire
  • anti-institutionnalisme
  • volonté de convertir le monde
  • égalitarisme
  • fraternité entre les croyants
  • importance de l’expérience personnelle et du témoignage
  • importance de l’éducation
  • liberté religieuse et liberté de l’Église par rapport à l’État.

On ne peut manquer de constater ces influences sur la formation de la pensée d’Adolphe Monod, et sur sa vie.

Note 23. 23. A cette époque naissent les Communautés de diaconesses, en particulier celle de Reuilly (1832), dans laquelle Adolphe Monod se trouve impliqué par ses relations avec le pasteur Vermeil.

Face à l’Église de Lyon, telle qu’elle était alors, Adolphe Monod n’avait pas le choix. Il aurait pu reprendre la formule célèbre : Je ne puis autrement…


Les relations avec les autres Églises

L’Église fondée par Adolphe Monod eut tout de suite de nombreuses relations avec d’autres groupes de chrétiens.

Des luthériens et des Anglicans furent accueillis dès 1832, dans la salle lu passage Thiaffait. Ils formèrent bientôt leurs Eglises. Mais l’accueil continua, dans l’immeuble de la rue Lanterne.

  • 1860/70 : pour la paroisse anglicane
  • 1870 : pour la paroisse luthérienne
  • 1920 : pour la paroisse orthodoxe russe.

Depuis 1938, l’Église de la rue Lanterne est l’une des paroisses de l’Église réformée de Lyon. Mais elle a continué à accueillir à l’occasion, des communautés chrétiennes en difficulté :

  • 1960 : les dissidents de la Soeur Gaillard (qui ont fondé depuis, l’Église évangélique du cours Tolstoï)
  • 1990 : la communauté kimbanguiste (du Zaïre)

Plus récemment, il a paru naturel de mettre les locaux de la rue Lanteme (étages et caves aménagées), à la disposition d’organismes à vocation humanitaire :

  • en 1980 : Amnesty International et l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture)
  • puis les mouvements : « Peuples solidaires », « SOS racisme », « ATD Quart Monde », « Solidarité emploi ».

A partir de 1844, il y avait eu des relations avec l’Alliance évangélique. Cet organisme regroupait des Eglises françaises évangéliques appartenant aussi bien à l’É.R.F. qu’à des Eglises dissidentes. L’Alliance évangélique participait à des congrès à Londres, à Paris, à Amsterdam, à New- York. Jusqu’en 1914.

Avec le pasteur Henri Hollard, (1905/14, 1919/36), ces relations vont se multiplier :

  • relations avec des chrétiens de diverses confessions et de divers pays. Ainsi, pour la paix, il participe avec les pasteurs Wilfried Monod, Jézéquel, Elie Gounelle, aux réunions de l’Alliance Universelle pour l’Amitié internationale par les Eglises. Les rencontres ont lieu à Stockholm, Prague, Cambridge.
  • relations et amitié avec le Père Couturier, chartreux, qui marquèrent le début à Lyon, de l’oecuménisme.
  • relations à l’intérieur du protestantisme, avec les diverses Eglises et notamment avec l’É.R.F.

La Fédération protestante de France ne voit le jour qu’en 1905/1906, au moment de la loi de séparation de l’Église et de l’État. Mais l’idée en avait été suggérée des années avant, dans un appel, lors d’un Synode à Clairac.

  • relations avec ses collègues réformés de Lyon, à l’Association fraternelle pour la prière.
  • avec d’autres chrétiens dans l’Association inter-confessionnelle d’études religieuses.

Le pasteur Henri Hollard n’a pas vu le retour de l’Église libre dans l’É.R.F., retour qu’il souhaitait, auquel il avait beaucoup travaillé, et qui ne se réalisa qu’en 1938. Toutefois, en 1936, il y avait des signes de cette réunification, et il put l’entrevoir.